Histoire de fantômes antique: Philinnion et Mâchâtes

Article

Joshua J. Mark
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 24 janvier 2019
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Disponible dans ces autres langues: anglais, espagnol

Les histoires de fantômes existent depuis des milliers d'années dans de nombreuses cultures anciennes, souvent sous forme similaire et traitant souvent de thèmes identiques. L'écrivain H.P. Lovecraft a écrit, "Comme on peut naturellement s'y attendre d'une forme si étroitement liée à l'émotion primaire, le conte d'horreur est aussi vieux que la pensée humaine et la parole elles-mêmes." Le désir humain de vaincre la mort, de vivre éternellement, s'exprimait à travers les histoires de ceux qui semblaient l'avoir fait en revenant de la tombe.

Pourtant, pour les anciens, ces récits n'étaient pas une sorte d'expression psychologique d'un désir humain fondamental, mais illustraient la réalité de la condition humaine. Ceux qui étaient morts pouvaient revenir au pays des vivants si les dieux qui régnaient dans les enfers leur donnaient une permission spéciale selon les circonstances.

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Lamia
Lamia
John William Waterhouse (Public Domain)

Le Conte de Philinnion et Mâchâtes

L'une des plus anciennes de ces histoires en Occident est celle de Philinnion et de Mâchâtes de la Rome antique racontée par Phlégon de Tralles (IIe siècle de notre ère) et plus tard par Proclus (Ve siècle). L'histoire aurait eu lieu sous le règne de Philippe II de Macédoine (359-336 av. J.-C.). Dans ce conte, la jeune fille Philinnion était la fille de Démostrate et Charito d'Amphipolis. Elle était mariée à un général de l'armée d'Alexandre nommé Cratérus et mourut six mois après leur mariage. Elle apparut ensuite, sous forme corporelle, dans la maison de ses parents où elle "se maria" pendant trois nuits avec un jeune homme nommé Mâchâtes, un invité.

Quand elle fut finalement aperçue par un autre membre de la maison et que ses parents la découvrirent, elle affirma que ce qu'elle avait fait avait été le fruit de la volonté des dieux du monde souterrain et que ses parents n'auraient pas dû interférer; ayant donné son explication, elle mourut une seconde fois. Ses parents, pensant que cette femme était peut-être simplement un imposteur qui ressemblait exactement à leur fille morte, ordonnèrent l'ouverture de sa tombe et découvrirent que son corps n'y était plus. En outre, les babioles qu'elle avait données à Mâchâtes pendant leur temps ensemble étaient identiques à celles qui avaient été enterrées avec elle et qui, bien sûr, avaient également disparu de la tombe, tandis que les cadeaux qu'il lui avait donnés pendant leurs nuits ensemble se trouvaient bel et bien là. La conclusion est que, d'une certaine façon, Philinnion était revenue à la vie à des fins qui ne furent jamais précisées.

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Contexte du conte

Cette histoire a beaucoup en commun avec les histoires sur Lamia, une sorte de vampire femelle qui suçait le sang des victimes qu'elle séduisait.

L'histoire est écrite sous la forme d'une lettre et prend soin de donner suffisamment de détails pour qu'on puisse y croire (les événements ont lieu sous le règne de Philippe II dans la ville d'Amphipolis) mais aussi pas assez, de sorte qu'un individu familier des spécificités de l'histoire d'Amphipolis aurait des raisons d'en douter.

La lettre est supposément écrite par un certain Hipparque, une autorité civile à Amphipolis, à un ami et collègue nommé Arrhidée, demandant des conseils sur l'opportunité de signaler les événements au roi. Phlégon choisit une autorité civile comme témoin oculaire-narrateur afin d'encourager la croyance en la véracité de l'histoire et, au cas où cela ne fonctionnerait pas assez bien, augmenta régulièrement le nombre de ceux qui virent Philinnion ressuscitée de un (Mâchâtes) à deux (la bonne) et jusqu'à ce que toute la communauté soit au courant de la situation.

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La théologienne Deborah Prince écrit : "La vérité de l'histoire de Philinnion, une jeune femme qui rencontra secrètement un jeune homme la nuit après sa mort et son enterrement, est affirmée avec force par la multiplication des témoins en nombre toujours plus grand" (27). Cette technique dans la narration ancienne, Prince souligne, est assez commune dans les écrits anciens concernant les mirabilia (événements ou miracles merveilleux) pour encourager l'acceptation de l'histoire par le lecteur.

Naumachius d'Épire, nommé par Phlégon comme source de cette histoire, semble avoir employé cette même technique et fournit un certain nombre de témoins de l'événement. Phlégon affirme que Naumachius vécut deux siècles avant lui, et les chercheurs supposent que, si c'est le cas, alors les lecteurs du conte de Philinnion décrit par Phlégon aurait connu l'histoire même si elles l'avaient entendu sous une autre forme avec des détails différents.

Ionic Column, Amphipolis
Colonne ionique, Amphipolis
Spyros Kamilalis (CC BY-NC-SA)

Le début de la version de Phlégon est absent des manuscrits existants et commence au point où la servante de la maison voit Philinnion assise sur le lit de Mâchâtes mais, selon l'expert J.R. Morgan (dans le livre de Hodkinson), le public de Phlégon n'aurait pas eu besoin d'un début pour comprendre l'histoire; ils auraient déjà connu les personnages et la situation dramatique et auraient lu ou écouté l'histoire simplement parce qu'elle était extrêmement populaire. Cette popularité perdura et inspira le poème de Goethe Die Braut von Korinth (La mariée de Corinthe) qui fut publié en 1797 et qui demeure populaire aujourd'hui.

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Philinnion en tant que vampire primitif

Le conte de Philinnion et Mâchâtes n'est pas considéré, par certains, comme une histoire de fantômes à proprement parler (Goethe parmi eux), car il partage énormément de points communs avec les histoires concernant Lamia, une sorte de vampire femelle qui suçait le sang des victimes qu'elle séduisait. Le poème de Goethe est considéré comme un classique de la littérature vampirique, tout comme le conte antique qui l'a inspiré, même si Philinnion n'est pas un vampire au sens moderne du terme.

L'histoire de Philinnion & Mâchâtes met en garde contre la confiance envers quiconque revient du royaume des morts.

On pensait que les fantômes de la Grèce antique et de Rome (et d'autres cultures) avaient besoin de sang humain pour subvenir à leurs besoins, et Lamia était simplement un esprit beaucoup plus dangereux que les autres. La figure de Lamia apparaît dans les histoires de nombreuses cultures et notamment dans la célèbre histoire de la littérature chinoise de Ning et Nie, où le fantôme de la jeune fille buvant du sang est tellement impressionné par la vertu de Ning, le jeune homme qui résiste à ses tentatives de séduction, qu'il se ravise et que la jeune fille est sauvée de la mort et rendue à la vie.

Texte du conte

Le conte de Philinnion et de Mâchâtes n'offre pas une fin aussi heureuse. La version de l'histoire que nous vous présentons vient de Phlégon de Tralles tel qu'il la raconta dans son Livre des Merveilles, recueil de contes sur les fantômes et autres événements qui, aujourd'hui, seraient définis comme "paranormal". Comme on l'a déjà fait remarquer, l'histoire commence au moment où la bonne de la maison, la femme qui avait, plus que tous, élevé Philinnion, la voit assise sur le lit de Mâchâtes et court dire à ses parents:

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La bonne se rendit à la porte de la chambre d'amis, et, à la lumière de la lampe allumée, elle vit la jeune fille assise à côté de Mâchâtes. En raison de la nature extraordinaire de cette vision, elle n'attendit pas plus longtemps et courut vers la mère de la fille en criant, "Charito! Démostrate!". Elle leur dit qu'ils devaient se lever et venir avec elle jusqu'à leur fille, qui était vivante et qui, par quelque volonté divine, était avec l'invité dans la chambre d'amis.

Lorsque Charito entendit cet étonnant récit, l'immensité du message et l'excitation de la bonne l' effrayèrent tant qu'elle s'évanouit. Mais peu de temps après, le souvenir de sa fille lui revint, et elle commença à pleurer; à la fin, elle accusa la vieille femme d'être folle et lui dit de quitter immédiatement sa présence. Mais la bonne lui répondit avec audace et reproches qu'elle, elle était rationnelle et saine d'esprit, contrairement à sa maîtresse, qui était réticente à voir sa propre fille. Quelque peu hésitante, Charito se rendit à la porte de la chambre d'amis, en partie contrainte par la bonne et en partie voulant savoir ce qui s'était réellement passé. Comme il s'était écoulé beaucoup de temps — environ deux heures — depuis le message original de la bonne, il était un peu tard lorsque Charito s'approcha de la porte et les occupants étaient déjà endormis. Elle jeta un coup d'oeil et, bien qu'elle reconnut les vêtements et les traits de sa fille, mais ne pouvant déterminer la vérité de l'affaire, elle décida de ne rien faire de plus cette nuit-là. Elle avait prévu de se lever le matin et de confronter la jeune fille, ou, si elle devait arriver trop tard pour cela, elle avait l'intention de questionner Mâchâtes sur toute cette affaire. Elle pensait qu'il ne mentirait pas si on lui posait des questions sur un sujet aussi important. Elle ne dit rien et partit.

À l'aube, cependant, il s'avéra que, par volonté divine ou par hasard, la jeune fille était partie sans être vue. Quand Charito arriva dans la chambre, elle se mit en colère contre le jeune homme à cause du départ de la jeune fille. Elle lui demanda de tout lui raconter dès le début, de dire la vérité et de ne rien cacher.

Le jeune homme était angoissé et confus au début, mais il révéla avec hésitation que le nom de la jeune fille était Philinnion. Il raconta comment ses visites avaient commencé, à quel point son désir pour lui était grand, et qu'elle avait dit qu'elle était venue à lui à l'insu de ses parents. Désireux de rendre l'affaire crédible, il ouvrit son coffre et sortit les objets que la jeune fille avait laissés - l'anneau d'or qu'elle lui avait donné et le bandeau qu'elle avait laissé la veille.

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Quand Charito vit ces preuves, elle poussa un cri, déchira ses vêtements, jeta sa coiffe par terre et tomba au sol, se jetant sur les objets et sa souffrance reprit de plus belle. Tandis que l'invité observait ce qui se passait, comme tous étaient en deuil et pleuraient comme s'ils étaient sur le point de mettre la jeune fille dans sa tombe, il fut bouleversé et les supplia d'arrêter, leur promettant de leur montrer la jeune fille si elle revenait. Charito accepta et lui demanda de tenir sa promesse.

La nuit arriva et maintenant il était l'heure à laquelle Philinnion avait l'habitude de venir à lui. La maisonnée continuait de veiller pour guetter son arrivée. Elle entra à l'heure habituelle et s'assit sur le lit. Mâchâtes prétendit que tout allait bien, puisqu'il voulait enquêter sur toute cette incroyable affaire pour savoir si la fille qu' il fréquentait, qui avait pris soin de venir à lui à la même heure, était réellement morte. Alors qu'elle mangeait et buvait avec lui, il ne pouvait tout simplement pas croire ce que les autres lui avaient dit, et il supposa que certains pilleurs de tombes avaient creusé dans le tombeau et vendu les vêtements et l'or à son père. Mais dans son désir d'apprendre exactement ce qu'il en était, il envoya secrètement ses esclaves pour convoquer Démostrate et Charito.

Ils accoururent vite. Quand ils la virent pour la première fois, ils restèrent sans voix et paniqués par cette incroyable vision, mais après cela, ils pleurèrent à haute voix et embrassèrent leur fille. Puis Philinnion leur dit : «Père et mère, ô combien injustement vous m'en voulez d'avoir passé trois jours avec l'invité de mon père, puisque je n'ai fait souffrir personne. C'est pourquoi, à cause de votre ingérence, vous vous affligerez encore et encore, et je retournerai au lieu qui m'a été désigné. Car ce n'est pas sans volonté divine que je suis venue ici. Immédiatement après avoir prononcé ces paroles, elle mourut, et son corps demeura allongé sur le lit. Son père et sa mère se jetèrent sur elle, et il y eut beaucoup de confusion et de lamentations dans la maison à cause de cette calamité. Le malheur était insupportable et la vision incroyable.

L'événement s'est rapidement propagé à travers la ville et m'a été rapporté. En conséquence, pendant la nuit, je fis surveiller les foules qui s'étaient rassemblées à la maison, puisque, avec des nouvelles comme celle-ci allant de bouche à oreille, je voulais m'assurer qu'il n'y aurait pas de problème.

À l'aube, l'assemblée municipale était pleine. Après que les détails furent expliqués, il fut décidé que nous devrions d'abord aller à la tombe, l'ouvrir, et voir si le corps reposait dans son cercueil ou si nous trouverions l'endroit vide. Une demi-année ne s'était pas encore écoulée depuis la mort de la jeune fille. Quand nous avons ouvert le caveau dans lequel tous les membres décédés de la famille avaient été placés, nous avons vu des corps allongés sur des bières, ou des os dans le cas de ceux qui étaient morts il y a longtemps, mais dans le cercueil dans lequel Philinnion avait été placée nous avons trouvé seulement l'anneau de fer qui appartenait à l'invité et la coupe de vin dorée, des objets qu'elle avait obtenu de Mâchâtes le premier jour.

Étonnés et effrayés, nous nous sommes immédiatement rendus à la maison de Démostrate pour voir si le cadavre était vraiment visible dans la chambre d'amis. Après avoir vu la morte allongée sur le sol, nous nous sommes regroupés au lieu d'assemblée, car les événements étaient graves et incroyables.

Il y avait beaucoup de confusion à l'assemblée et presque personne ne put se prononcer sur les événements. Le premier à se lever fut Hyllos, qui était considéré non seulement comme le meilleur voyant parmi nous, mais aussi comme bon augure; en général, il montrait une remarquable perception dans son métier. Il dit que nous devions brûler la jeune fille en dehors des limites de la ville, puisque rien ne serait gagné en l'enterrant dans le sol à l'intérieur de ses limites, et effectuer un sacrifice apotropaïque à Hermès Chthonios et aux Euménides. Puis il prescrit que chacun se purifie complètement, nettoie les temples et exécute tous les rites habituels aux dieux de Khthonion [monde souterrain]. Il me parla aussi en privé du roi et des événements, me disant d'offrir des sacrifices à Hermès, Zeus Xenios et Arès, et d'accomplir ces rites avec soin. Lorsqu'il eut parlé, nous nous engageâmes à faire ce qu'il nous avait prescrit. Mâchâtes, l'invité que le fantôme avait visité, déprima et se suicida.

Si vous décidez écrire à ce sujet au roi, dites-le moi afin que je puisse vous envoyer une des personnes qui examina l'affaire en détail. Adieu.

Conclusion

L'histoire, outre divertissante, aurait encouragé la croyance de l'audience de deux valeurs culturelles importantes : que les morts continuaient à exister après la mort et que les vivants devaient se souvenir et les honorer, mais ne donnent aucune pensée à les fréquenter. Les morts étaient censés rester dans le royaume de l'au-delà et la littérature de chaque civilisation antique montre clairement que l'apparition d'un "fantôme" - sauf dans les rêves et dans certaines conditions - était un signe que quelque chose avait terriblement mal tourné.

Cette croyance persista à travers les âges - et est encore vivante aujourd'hui - et est probablement mieux illustrée par le personnage de Hamlet dans la pièce de Shakespeare du même nom. Hamlet soupçonna que l'esprit qu'il avait vu sur les remparts, qui ressemblait tant à son père, pouvait être un diable (acte II.ii, ligne 690-691). Il refusa d'agir sur ce que l'esprit lui avait dit de faire (venger la mort de son père) précisément pour cette raison parce qu'il savait qu'il était possible que le diable essayait de le tromper pour tuer son oncle afin de le maudire en enfer.

De la même manière, l'histoire de Philinnion et Mâchâtes met en garde contre la confiance en quiconque revient du royaume des morts; aucun bénéfice ne provient de la visite de Philinnion et Mâchâtes finit par se tuer à cause de cela. Que les morts continuent à exister après qu'ils aient quitté la vie était un acquis; les fréquenter s'ils revenaient, cependant, n'était jamais une bonne idée.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Joshua J. Mark
Auteur indépendant et ex-Professeur de Philosophie à temps partiel au Marist College de New York, Joshua J. Mark a vécu en Grèce et en Allemagne, et a voyagé à travers l'Égypte. Il a enseigné l'histoire, l'écriture, la littérature et la philosophie au niveau universitaire.

Citer cette ressource

Style APA

Mark, J. J. (2019, janvier 24). Histoire de fantômes antique: Philinnion et Mâchâtes [An Ancient Ghost Story: Philinnion & Machates]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-763/histoire-de-fantomes-antique-philinnion-et-machate/

Style Chicago

Mark, Joshua J.. "Histoire de fantômes antique: Philinnion et Mâchâtes." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le janvier 24, 2019. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-763/histoire-de-fantomes-antique-philinnion-et-machate/.

Style MLA

Mark, Joshua J.. "Histoire de fantômes antique: Philinnion et Mâchâtes." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 24 janv. 2019. Web. 18 avril 2024.

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